''Samir Kassir, l’élégant danseur sur un champ de mines'' di MAHMOUD DARWICH
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L’élégant danseur sur un champ de mines


MAHMOUD DARWICH*
dans le "Carnet du 40e de la mort de Samir Kassir" publié par An-Nahar, 2005


Chaque fois que je rencontre son nom, j’entends une petite chanson qui célèbre l’hymen de la jeunesse et du jugement, de la pensée et du courage… Je suis défait, non parce que la vie des roses est courte mais parce que cette rose n’avait pas encore accompli son épanouissement éclatant sur les palissades embrasées. Samir était obsédé par la course à mener sur le chemin de l’avenir pour rester toujours en tête ; il a obtenu ce qu’il voulait : celui qui nous a précédés dans l’absence ne vieillira pas comme nous. Là-bas, autour de son image d’Arabe nouveau, le Temps se retrouvera au chômage ! Tandis que nous, ses amis éplorés, nous, les amoureux de Beyrouth, nous nous attacherons à ce beau rêve quels que soient les masques de fausse aube qu’il revêt. Nous ne serons pas tentés par les consignes de pondération et n’accuserons pas le martyr de la liberté et de l’amour d’avoir été une tête brûlée, comme seront tentés de le faire ces comptables méticuleux, répandus dans les institutions officielles de l’émotion et de la pensée. Nous demandons plutôt à l’assassin pourquoi n’a-t-il pas écrit un article de journal prouvant que Samir Kassir s’était trompé et ne méritait pas la vie, ni au Liban ni ailleurs ? En effet, les preuves sont nombreuses, elles commencent avec l’erreur flagrante sur la carte de Jaffa, avec la lignée qui, bien que légitime, ne correspond pas aux divinités de la communauté, de la famille ou de la tribu… elles vont jusqu’à priver l’étranger de son droit au travail manuel et intellectuel, de son droit à exprimer son opinion dans le nouveau contexte local ou international.


Le présent devient le passé


Nous ne lui avions jamais dit : Comme tu es beau ! Il ne le savait que trop, il le proclamait lui-même d’ailleurs. Mais l’absence impose un rappel de ce Temps atteint de schizophrénie. En une seconde, en une explosion unique, le présent devient le passé, monopolise le souvenir, réduit le lieu et fait régner une obscurité perceptible grâce aux cinq sens… Je n’ai pas le cœur de lui dire : Mon ami, pourquoi as-tu fait en sorte qu’on t’aime tant ? Nous nous retrouvions pour rire de Narcisse imbu de sagesse. Cet enfant prodige – comme nous l’appelions – était heureux de grandir comme écrivain, comme intellectuel et comme amoureux, sans pour autant abandonner le titre qui lui garantissait la place de Joseph parmi ses frères ni l’histoire du chevalier entièrement dédié à la défense d’une étrange liberté, d’une bizarre démocratie.
Le nom de Samir Kassir, l’élégant danseur sur un champ de mines, celui qui raillait tout accommodement avec la tyrannie infligée ou consentie, est devenu l’équivalent du dépassement de la coquille identitaire et du particularisme dans un même registre. Il était convaincu que le Palestinien pouvait être aussi libanais, que le Libanais pouvait être un palestinien arabe, qu’il était du devoir de l’Arabe de participer, au moins par la pensée, aux destinées qui lui sont réservées par l’enclenchement des bouleversements du monde contemporain. Il croyait tout aussi fermement qu’une culture démocratique ne le dépossédait pas nécessairement des valeurs sanctifiées du patrimoine national !


Une identité ouverte sur le lendemain


Ainsi, il n’était jamais tombé dans le piège de la question existentielle : Qui suis-je ? Ce citoyen multiple, renouvelé, éclairé, évolué n’avait pas besoin de prouver la légitimité de ses origines, il n’avait pas opposé à l’intégrisme un intégrisme contraire, ni au communautarisme un autre communautarisme implicite. Son identité était ouverte sur des lendemains qui s’ouvriraient aussi à tous les autres, sur une modernité qui ne prenait toute sa signification dans notre contexte historique qu’en affirmant ses liens avec un projet total de libération. A commencer par le droit de l’enfant de demander des comptes à son père, passant par le droit de la femme de quitter son époux, le droit du citoyen de changer de gouvernant, le droit de l’individu et de la société de combattre le despotisme et l’occupation en même temps, le droit du poète de se libérer du carcan de la rime, le droit des rêveurs de rêver qu’ils sont libres, le droit de l’écrivain de distinguer entre le sens de la mort et celui de l’assassinat ! Est-ce pour tout cela que Samir Kassir a mérité d’être assassiné ?


Mon cœur déborde…


Mon cœur déborde de satire pour les maîtres de notre époque où l’on ne s’interroge pas sur l’identité de l’assassin mais sur celle de la prochaine victime… A croire que le meurtrier demeure l’inconnu constant, tandis que la victime représente la variable connue. Ainsi, les personnages d’une scène sanglante se métamorphosent en spectateurs qui regardent leurs destins tracés par avance, tandis que les spectateurs se transforment en personnages dans une pièce dont ils ignorent le texte. Mon cœur déborde d’élégies pour ceux qui ont écrit leurs rêves avec de la braise, qui n’ont pas eu peur des officiers de l’obscurité et qui n’ont pas eu honte de la scandaleuse vérité. Mon cœur déborde de larmes amères pour le beau Liban, gavé de louanges toutes rhétoriques et inutiles, réduit jusqu’à l’étranglement par les images inspirées des chansons bucoliques et par les paysages naturels dont le passant ne voit que la couleur verte enchâssée dans un éternel azur. Quant au rouge sanglant, il n’est aperçu que par ceux qui se sont engagés dans l’écriture de l’avenir où l’image coïncide avec la réalité. Hésitant et déconcertant à la fois, le Liban a beaucoup saigné pour forger son identité multiple, pour se délester de la culture communautaire et clanique et pour avoir la liberté de voguer vers les vastes horizons. Vers quels abîmes l’entraînent donc ceux qui craignent son identité féconde et l’attrait qui le pousse de l’avant ? Vers quels arrières veulent donc le ramener les ingénieurs de l’ombre ?
Le langage figuré affirme que l’accouchement sera long et douloureux, que la liberté, aussi belle soit-elle, risque de devenir féroce pendant la nuit de noces et d’avoir soif du sang de ses amants… Une luxuriante nuit de henné, avant de se tourner vers les préoccupations ménagères… Samir Kassir fut l’un de ses plus beaux amants



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